Inger Christensen
Poezibao a fait part, il y a peu, du décès
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/01/la-mort-de-la-po%C3%A9tesse-danoise-inger-christensen.html
de cette très grande femme poète danoise. Reconnaissance à Jean-René Lassalle pour cette contribution plus que bienvenue.
alphabet
1
abricotiers, il y a les abricotiers
2
bruyère il y a ; et les baies, les baies bleues
et le brome il y a ; la base de l’hydrogène aussi
3
cigales il y a ; la chicorée, le chrome
et les citronniers il y a ; il y a les cigales ;
les cigales, les cèdres, les cyprès, le cervelet
4
de doux pigeons il y a ; des délirants, des déités de dinette
décapiteurs il y a ; doux doux pigeons ;
décantation, dioxine et les dates ; les dates et les jours
il y a ; les jours et les deuils ; et la danse des mots
il y a ; la danse des poèmes, les jours, le deuil
5
l’été vers l’automne il y a ; l’évocation et l’esquisse
il y a , il y a le retrait en soi ; les êtres angéliques,
les endeuillés et l’élan il y a ; les éléments
il y a, l’essai de souvenir et l’éclaircie du souvenir ;
et son éclat réverbéré ; l’essence du chêne et de l’orme
il y a une épinaie de genièvre, l’égalité, l’esseulement
il y a, et l’eider et l’épeire il y a,
et les vinaigres, il y a aussi les enfants, la postérité
6
le fin héron il y a, avec son dos gris-bleu foncé
fléchi, il y a lui, avec son aigrette noire en flambeau
et ses plumes fluides il est ; en colonies
il y en a ; dans ce qu’on qualifie de Vieux Monde ;
il y a aussi le fretin ; et le balbuzard pêcheur, le foulque
le faucon ; l’avoine parfumée, la fourrure colorée des moutons ;
il y a les produits de la fission et il y a le figuier ;
des fautes il y a, les grossières, les systématiques,
les accidentelles ; la télécommande il y a, les oiseaux ;
il y a les arbres fruitiers et les fruits dans le verger où
il y a des abricotiers, il y a des abricotiers
dans des pays où la chaleur engendrera exactement
la couleur de chair qu’ont les fruits abricots
Traduit du danois par Jean-René Lassalle
Inger Christensen (1935-2009), discrète et pourtant la plus célèbre poète danoise, pressentie pour le Nobel, s’est éteinte ce janvier après une courte maladie. Mariée à un écrivain et divorcée, elle a un fils. Elle fut professeur aux Beaux-arts puis écrivain à plein temps. Rassemblant les mouvements de la nature et les réflexions sociopolitiques des années 60 dans un flux incantatoire, son poème de 300 pages « det » (« ça ») est devenu instantanément, en 1969, un classique de la poésie danoise moderne. « La Vallée des papillons » est une suite de sonnets à récurrences organisée en couronne ou hyper-sonnet : « c’est la mort qui avec ses propres yeux / te regarde par les ocelles des papillons (…) c’est la mort qui avec mes propres yeux / veut se regarder en moi ». « Alphabet » est basé sur la série mathématique de Fibonacci : 1, 2, 3, 5, 8, 13, etc. où le nombre qui suit est la somme des deux précédents : le premier verset contient un seul vers avec un mot commençant par A, le 2e verset contient deux vers avec des mots commençant par B, le 3e verset contient trois vers avec des mots commençant par C, le 4e verset contient cinq vers avec des mots en D, etc. Les versets s’amplifient, accueillant des allitérations avec la lettre concernée ou d’autres mots sans cette lettre. À la lettre N (tout nombre ? rébellion de l’auteur ? implosion du système ? big bang ?) cette montée exponentielle se désintègre en éclats chatoyants. Comme un arbre pousse ses feuilles, la poète fait croître le langage en composition musicale sur des structures mathématiques. « Je vois les nuages fins / et le soleil léger / ensemble ils esquissent / un infini parcours / comme s’ils avaient confiance / en moi ici sur terre / comme s’ils savaient que moi / je suis leur voix. » (det). Elle a réussi à fasciner ses traducteurs qui lui sont restés fidèles au long des livres (Heinz Grössel en allemand, Susanne Nied en anglais, Janine et Karl Poulsen en français). Son œuvre considérée comme exigeante dans les années 80 ne semble pas encore avoir trouvé les lecteurs qu’elle mérite. Pour Inger Christensen, la poésie est « peut-être un jeu tragique – le jeu que nous jouons avec un monde qui joue son propre jeu avec nous ». La redécouverte ou réédition de ses livres épuisés ou difficiles à trouver ferait revenir au jour une superbe poésie, créatrice et libre.
Contribution de Jean-René Lassalle
Pour une bio-bibliographie complète, lire Bio-bibliographie d’Inger Christensen http://poezibao.typepad.com/poezibao/2009/01/inger-christensen.html
Index de Poezibao http://poezibao.typepad.com/poezibao/index_gnral.html
Une de Poezibao http://poezibao.typepad.com/
Merci, Florence Trocmé!
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