domingo, 23 de março de 2008

Le grillon-taupe, poème par Martine Estrade

Je l’avais cherché au marché aux oiseaux de Denpasar. J’étais venue pour lui, Je l’avais rêvé depuis toujours.
C’était un grillon-taupe.
Une magnifique créature animale d’un noir brillant avec une corne sur la tête.

L’enfant aux yeux rieurs était assis tout fier devant une série de boites, constituées d’une tige creuse de bambou clair dont des lamelles avaient été otées et dont une petite vitre ronde offrait à la vue un de ces specimens de grillons spécialisés dans le combat.
Chacun sait que les meilleurs combattants sont les plus doués des chanteurs. C’est une question d’hormones mâles. Il en est ainsi pour les oiseaux également et probablement pour les autres créatures du seigneur.
Je regardai un à un avec une curiosité frémissante de désir, chacun des insectes tout noir, accessible à ma vue par la petite glace ronde qui constituait sa fenêtre sur le monde. Elle offrait à mes yeux fascinés les yeux du grillon-taupe et sa corne, car l’animal, vif et plein d’ardeur au combat était, de surcroît, curieux.

Je le vis et ce fut lui.
Un frémissement parcouru tous mes sens.

Ardent, bouillonnant, éblouissant de brillance ténébreuse, saturé, que dis-je dilaté d’arrogance altière, Hannibal, car tel fut le nom que je lui donnai immédiatement pour lui rendre hommage, Hannibal, donc, était la magnificence, le sublime incarné grillon-taupe !
Futur chanteur d’opéra, il figurait un de ces être mi-animal, mi-spirituel dont l’apparence seule traduit l’âme, son élévation, son souffle.
Je l’acquis immédiatement.
Portée par mes sentiments et poussés par ceux-ci à la magnanimité, je ne négociai même pas son prix , ordinairement dérisoire, en dépit du bon sens et des coutumes locales.
Je l’emportai, serrant contre mon cœur la petite boite de bambou clair. Mon cœur battait plus vite, tellement plus vite. Je retournai à l’appartement de Sanur. J’installai Hannibal sur la terrasse.
Dès la première nuit, ce fut merveilleux, inoui.
Le chant d’hannibal, depuis la terrasse balcon traversait deux pièces pour pénétrer à plein volume dans la chambre où je dormais, envoûter mon sommeil, visiter et colorer mes rêves.
Nuit après nuit.
Comme si cela devait ne jamais prendre fin.
La vie semblait légère, si légère. Je chantais tout au long du jour. Je n’osais envisager qu’Hannibal ne pourrait me suivre, qu’il faudrait se séparer, que je devrais vivre un jour sans que son chant nocturne ne me portât dans mon rêve.
Surtout ne pas penser !

Et pourtant, un certain jour, le jour du départ arriva.
Je relachai Hannibal solennellement et le cœur serré, retenant mes larmes à grand peine. Dans le jardin luxuriant empli de fleurs multicolores, le chanteur adulé qu’il était devenu vivrait désormais une vie banale de grillon taupe.

Je repris l’avion comme une automate. Je ne ressentais plus rien.

La vie, ou sa forme, reprit à paris. Le gris du ciel redevient gris, si gris. Le bruit des jours était lourd, si lourd. Et les nuits , silencieuses, opaques se succédaient, théâtre d’un sommeil sans rêves, sans couleur : je ne chantais plus.
Les activités s’enchaînaient épuisantes parfois, ennuyeuses souvent.
La nostalgie est un deuil qui n’est ni fait ni à faire, aussi , généralement, on ne le fait pas.

Un soir , une conférence.
Nous attendons l’orateur, il vient de loin, très loin . il arrive un peu plus tard.
Soudain la porte s’ouvre. un courant d’air violent dans ma tête. Un chapeau noir, une cape noire. La voix, puissante traverse la pièce.
J’ai le souffle coupé, je le reconnais.
C’est lui : c’est Hannibal !


Martine Estrade

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